Ne parlez pas en bien, ne parlez pas en mal

Radio-Canada a mis en ligne une entrevue avec Denis Dion, un porte-parole du Directeur général des élections du Québec, portant, pour l’essentiel, sur l’application éventuelle de la Loi électorale, et notamment de ses règles concernant les « tiers »,  aux médias sociaux, vu l’importance du rôle qu’ils pourraient jouer dans la prochaine campagne électorale. C’est un sujet qui attire beaucoup d’attention dernièrement. D’ailleurs, je l’avais évoqué ici il y a quelques semaines.

M. Dion soutient que « [l]a Loi électorale n’a certainement pas pour but de limiter les débats dans la société québécoise durant les 33 jours de la période électorale ». Ce n’est pourtant manifestement pas vrai. En imposant des limites sévères aux dépenses des partis et des candidats, et en interdisant presque toute dépenses par quelque autre personne, la Loi électorale a pour effet de limiter les débats, et cet effet est tellement fort et prévisible qu’il est difficile de prétendre que telle n’était l’intention du législateur lorsqu’il adoptait la loi. En fait, M. Dion en est conscient. Comme il dit lui-même, la Loi électorale « exclut la participation des personnes qui viendraient à côté des … partis pour faire des dépenses ce qui désiquilibrerait ce que la loi veut équilibrer » – c’est-à-dire les ressources des différents partis politiques, qui sont, comme je le soulignais ici, les acteurs centraux, dominants, du système électoral. (D’où le choix révélateur de la préposition « à côté » par M. Dion.) On pourrait envisager plusieurs façons – certaines plus pratiques que d’autres ― d’atteindre cet équilibre. La Loi électorale représente un choix clair en faveur d’un système qui préserve cet équilibre en baillonant tous ceux qui risqueraient de le rompre.

Pour ce qui est de l’application de la Loi électorale aux médias sociaux, M. Dion confirme ce que j’écrivais il y a deux semaines et demie: la communication d’un message électoraliste par les médias sociaux n’est pas une dépense électorale au sens de la loi, puisqu’elle ne coûte rien à son auteur. Par ailleurs, il rappelle aussi qu’un message ne sera pas couvert par la loi s’il ne tend pas à favoriser ou à défavoriser l’élection d’un parti ou d’un candidat en particulier. Ainsi, dit M. Dion, « votez contre ceux qui soutiennent la hausse des frais de scolarité » est un message partisan qui sera couvert par la loi si son auteur paie pour le diffuser, alors que « votez pour l’accès à l’éducation » ne l’est peut-être pas. Finalement, rappelle M. Dion, on peut aussi échapper à l’effet de la Loi électorale « [s]i de par votre notoriété il y a toujours un journaliste qui vous court après » et que tout ce que vous dites se retrouve dans les médias, sans que vous n’ayez à payer. Un rappel, probablement pas intentionnel, du fait que la Loi électorale favorise les groupes bien établis au détriment des nouveaux-venus, dont les journalistes ne font pas la promotion gratuite.

Les médias sociaux auront-ils un effet important sur la prochaine campagne électorale? Difficile de le dire pour l’instant. Cependant, c’est une possibilité. Si ça s’avère éventuellement être le cas, dit M. Dion, « peut-être faudra-t-il adapter nos lois étant donné l’évolution de la façon dont les messages sont diffusés ». J’aurais bien aimé qu’on lui demande dans quel sens cette modification pourait aller. Comme je l’écrivais ici, on pourrait conclure que, puisque les médias sociaux permettent à quiconque de diffuser des messages électoralistes de façon plus ou moins illimittée, les limites imposées à la diffusion de tels messages par les moyens traditionnels ne sont plus utiles. Cependant, on pourrait aussi conclure que la seule façon de garder les partis politiques au centre du débat pré-électoral, c’est de commencer à censurer la diffusion de messages électoralistes sur les médias sociaux. M. Dion et son patron ont-ils les ressources et la volonté pour le  faire?

Author: Leonid Sirota

Law nerd. I teach public law at the University of Reading, in the United Kingdom. I studied law at McGill, clerked at the Federal Court of Canada, and did graduate work at the NYU School of Law. I then taught in New Zealand before taking up my current position at Reading.

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