Une campagne 1.9

Vincent Marissal a publié une chronique intéressante dans La Presse ce matin, sur “la première vraie campagne 2.0” que le Québec vivra lorsque les élections seront déclenchées – vraisemblablement dans les prochains mois. Contrairement aux États-Unis, où internet et, surtout, les réseaux sociaux ont transformé les campagnes électorales dès 2004, et certainement en 2008, le changement a tardé à se faire sentir au Québec. M. Marissal relève une autre différence: alors qu’aux États-Unis ce sont les candidats (notamment Barack Obama) qui ont donné aux nouveaux médias un rôle central dans les campagnes électorales, “la révolution 2.0 au Québec viendra probablement des électeurs plus que des partis politiques.” Comme toute révolution digne de ce nom, celle-ci va heurter les habitudes et les normes établies, non seulement sur le plan politique, qui n’est pas de mon ressort ici, mais aussi sur le plan juridique. Je me concentre, dans ce billet, sur les aspects pratiques des changements qu’elle amène, gardant une réflexion théorique pour un autre, bientôt.

Comme le souligne M. Marissal, la Loi électorale québécoise essaie de circonscrire les interventions dans une campagne électorale aux partis politiques. Les dépenses des “tierces parties” – c’est-à-dire tout le monde sauf les partis politiques enregistrés et les candidats – sont très sévèrement limitées. Or, dit-il,

Twitter, Facebook et surtout YouTube permettent ce que la loi électorale québécoise interdit: des interventions de tierces parties, non officiellement associées à un parti politique, anonymes le plus souvent et dont les interventions ne sont pas comptabilisées dans les dépenses électorales. …  [P]lusieurs groupes, en particulier du côté des artistes, sont très mobilisés contre le gouvernement Charest et … ils ne se gêneront pas pour intervenir lors de la prochaine campagne électorale sur les réseaux sociaux. En fait, c’est déjà commencé. … Encore là, toutefois, l’univers 2.0 appartient à tout le monde, et rien n’empêche des groupes favorables aux libéraux (ou opposés au PQ, à la CAQ ou à Québec solidaire) de jouer aussi cette carte [ce que certains font déjà].

Cependant, les choses ne sont pas si simples. La Loi électorale s’applique, en principe, aux interventions sur les médias sociaux. À cet égard, comme en d’autres matières, elle est plus restrictive que la Loi électorale du Canada, ainsi que la législation équivalente de certaines autres provinces. L’article 319 de la loi fédérale, par exemple, exclut de sa définition de la “publicité électorale” qu’elle réglemente et limite “la diffusion par un individu, sur une base non commerciale, de ses opinions politiques sur le réseau communément appelé Internet.” La loi québécoise ne contient pas d’équivalent de cette exemption (elle-même plutôt étroite puisqu’elle n’applique pas, notamment, à l’expression pré-électorale de groupes).

Par contre, elle ne contrôle que les “dépenses électorales”, c’est à dire “le coût de tout bien ou service utilisé pendant la période électorale” pour aider un candidat ou un parti ou leur nuire (art. 404). En supposant qu’il s’agit du “coût” à la personne qui communique un message, la communication d’un message électoraliste sur les médias sociaux n’est pas couverte par cette définition, puisqu’elle est gratuite. Cependant, peu importe le moyen de communication choisi, la production d’un message électoraliste sera couverte par la définition de la Loi électorale si elle entraîne des dépenses.

Donc si vous tapez une missive anti-PLQ chez vous et la diffusez sur Facebook, vous ne contrevenez pas à la loi, puisque vous ne dépensez que votre temps. Mais si vous tournez une vidéo dénigrant ce même PLQ, dont la production et le montage en coûtent quelques centaines de dollars, et que vous la diffusez sur ce même Facebook ou sur YouTube, vous avez engagé une dépense électorale – ce que la loi vous interdit de faire.

Bref, M. Marissal a raison de dire que les médias sociaux changent ou, du moins, permettent de contourner, les règles du jeu établies avant leur apparition. Mais ils ne permettent pas de s’en affranchir tout à fait. Comme après la plupart des révolutions, l’ancien droit est tenace. On n’aura pas peut-être pas une campagne tout à fait 2.0 – mais au moins, 1.9.

Author: Leonid Sirota

Law nerd. I teach public law at the University of Reading, in the United Kingdom. I studied law at McGill, clerked at the Federal Court of Canada, and did graduate work at the NYU School of Law. I then taught in New Zealand before taking up my current position at Reading.

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